Moulins de Mervent : « Le contenu local est essentiel »

31 Oct 2022
Signature de la convention Moulins du Mervent

Le projet Moulins du Mervent, porté par le consortium composé de Shell, Valeco et la Banque des Territoires, est en lice pour l’attribution du projet de parc éolien flottant dans le Sud de la Bretagne. Interview croisée de Pauline Bertrand, directrice offshore de Valeco, Cédric Marande, directeur des appels d’offres flottants de Shell pour la France, et Emmanuel Legrand, directeur du département transition énergétique et écologique à la Banque des Territoires.

 

Pouvez-vous présenter votre consortium et ce qui fait sa force par rapport aux autres candidats présélectionnés ?

Cédric Marande : La force de notre consortium, c’est l’expérience et le savoir-faire dans la gestion de projets éolien en mer, de la conception jusqu’à l’exploitation. Nous maîtrisons la technologie des plateformes flottantes, et avons à la fois une excellente connaissance des enjeux locaux et de la spécificité des territoires. Le groupe Shell bénéficie de 60 ans d’expérience dans le secteur maritime dont 20 ans dans l’éolien en mer. Il dispose d’un portefeuille de projets éoliens de plus de 8 GW (en production et en développement) et a récemment remporté avec un partenaire local 5 GW d’éolien flottant en Écosse.

Pauline Bertrand : Depuis plus de 20 ans, Valeco a une maîtrise totale de toute la chaîne des métiers des EnR et est reconnu pour son engagement de proximité et de concertation avec les populations et élus locaux. EnBW, la maison mère de Valeco, est l’un des plus importants producteurs et fournisseurs d’énergie en Allemagne et en Europe. Le groupe exploite plusieurs parcs éoliens installés en mer Baltique et en mer du Nord (945 MW). EnBW est en train de construire en Allemagne le premier parc éolien offshore sans subvention.

Emmanuel Legrand : La Banque des territoires est déjà actionnaire de deux fermes pilotes d’éoliennes en mer flottantes et de deux fermes commerciales d’éolien posé actuellement en développement au large des côtes françaises. Elle apporte à ce projet son expérience, unique en France, d’investisseur d’intérêt général dans le développement de grandes infrastructures énergétiques en mer. Nous avons la capacité financière de supporter des projets dans la durée, ainsi qu’une bonne connaissance des acteurs publics locaux. Le Groupe Caisse des Dépôts a fait de la transition énergétique sa priorité stratégique. Nous investissons dans les EnR environ 300 M€ par an depuis 2008. Le consortium bénéficiera en outre de l’ancrage territorial de la Banque des Territoires en Bretagne.

 

Quel est selon vous le principal défi à relever pour la construction du premier parc commercial flottant ?

C. M. : Le principal défi à relever est technologique car les conditions océaniques sont particulièrement rudes. Il va falloir faire des choix concernant les flotteurs, les turbines, le couplage turbine / flotteur, etc. L’autre défi concerne les infrastructures portuaires. Il faut repenser la configuration des ports, aménager des espaces de stockage, des accès, installer de nouveaux équipements, etc. Les Régions en ont pris conscience et travaillent sur l’adaptation de ces infrastructures à nos besoins. Enfin, il faut que l’on puisse s’appuyer sur une supply chain locale qui soit en capacité de répondre à nos besoins.

P. B. : Le projet devra être coconstruit avec les parties prenantes, avec l’objectif de minimiser les impacts sur la pêche, la biodiversité et d’assurer une bonne cohabitation des usages. Il devra également répondre aux attentes du territoire en maximisant les retombées économiques et sociales, créer et pérenniser l’emploi local.

E. L. : À travers cet investissement, nous entendons contribuer à plusieurs objectifs nationaux et locaux : accroître la part des EnR, diversifier le mix énergétique et contribuer au développement économique local. En effet, l’un des principaux défis est que ce projet participe à la structuration d’une filière industrielle des énergies marines performantes.

 

Quels sont selon vous les points forts et les points faibles de la filière française de l’éolien en mer ?

C. M. : Le principal point fort, c’est que l’on ne part pas de zéro. De grands groupes industriels tels que GE, Les chantiers de l’Atlantique, Eiffage, SGRE, etc., ont déjà pris des initiatives. D’ici à la fin 2022, la France disposera de quatre usines de premier plan pour la construction d’éoliennes en mer, parmi la douzaine présente en Europe. De plus, les collectivités territoriales, comme les Régions, les communautés d’agglomération, mais aussi les ports de Brest, Lorient et Saint-Nazaire, ont pris la mesure de la nécessité de développer leurs infrastructures pour soutenir la filière et s’adapter aux dimensions XXL de ces projets.

E. L. : Il existe sur le territoire un fort réseau de TPE et PME mobilisable pour ce projet. Nous en avons identifié près de 200 en Pays de la Loire et Bretagne qui se positionnent sur différentes phases du projet (ingénierie, fabrication du flotteur, et exploitation & maintenance). Les Régions peuvent en outre compter sur des clusters très actifs qui aident à la structuration de la filière.

P.B. : La France est le premier espace maritime de l’Union européenne. Elle s’est fixé des objectifs ambitieux avec l’engagement d’installer d’ici à 2050, 50 parcs éoliens représentant 40 GW, pour en faire la 2e source de production d’électricité en France. L’État vient pour cela de lancer deux appels à manifestations d’intérêts : l’un, à destination des ports, visant à développer les infrastructures portuaires ; et le second, à destination des industriels, pour des projets de production d’équipements, de construction et d’assemblage. Au total, environ 300 M€ seront alloués à l’éolien flottant dans le cadre du plan France 2030. Nous sommes dans une dynamique très positive et encourageante. S’agissant des points faibles, nous accusons un retard important dans la réalisation des premiers parcs éoliens en mer, dû essentiellement à la lenteur administrative dans le traitement des recours. Le gouvernement en a pris conscience. Avec la loi ASAP (Accélération et simplification de l’action publique) de 2020. L’autre point faible porte sur les volumes des appels d’offres inscrits dans la PPE. Ils ne permettent pas encore de créer la visibilité sur le long terme dont a absolument besoin la filière. Ils ne permettent pas non plus d’avoir des effets d’échelle et d’assurer une continuité de production, qui est LE facteur essentiel pour réduire les coûts et permettre de nouveaux investissements. Tout l’avenir de la filière est en jeu dans cette planification. La France doit changer d’échelle et arrêter d’avancer projet par projet pour passer à une vision long terme avec des projets plus importants comme le font nos voisins européens. Il existe néanmoins des signaux positifs, dans le discours du Président Macron à Belfort en février dernier, et avec la signature du « Pacte pour l’éolien en mer ».

 

Quelle est votre stratégie pour les retombées économiques locales du projet ?

C. M. : Notre consortium travaille en étroite collaboration avec les collectivités, les institutions, les usagers de la mer, les associations et les habitants. Notre volonté est de maximiser les retombées économiques locales du projet en privilégiant les entreprises du territoire dès la phase de développement.

P. B. : Le contenu local est essentiel pour nous. Nous travaillons depuis le début avec les clusters industriels pour identifier les compétences des industriels locaux et leur positionnement dans la chaîne de valeur. Dans la continuité de ce travail, nous avons signé, différents engagements tels que la charte d’engagement du contenu local pour contribuer à la structuration d’une filière industrielle régionale (en collaboration avec les clusters industriels régionaux Noepolia, Normandie maritime, Aquitaine Blue energies, Wind’Occ, Bretagne ocean power) à l’occasion de Seanergy à Nantes en septembre 2021. Et nous signerons prochainement une charte d’engagement sur les enjeux spécifiques des Pays de la Loire avec Solutions&co*, Weamec et Neopolia, qui portera sur trois thématiques : le contenu industriel local, la formation et l’innovation. Nous avons engagé un travail similaire en Région Bretagne.

 

Avez-vous des attentes particulières de la part des acteurs industriels et institutionnels locaux ?

E. L. : Nous attendons des institutionnels qu’ils nous aident à vulgariser l’éolien flottant et ses enjeux afin que l’ensemble des citoyens aient les bonnes informations et soient rassurés sur cette technologie. L’éolien en mer est l’avenir de notre indépendance énergétique. C’est une vraie chance pour le territoire français et les Pays de la Loire qui abritent des acteurs remarquables. Le travail effectué par Solutions&Co* sur l’annuaire des compétences notamment, est très utile. Il est important que tout ce savoir-faire soit mieux connu jusqu’à Paris.

C. M. : Il est nécessaire d’avoir de l’enthousiasme, de créer une dynamique positive et de favoriser une vision de long terme. On est au tout début d’une aventure. On espère que la France, les Régions et les partenaires locaux vont contribuer à se mobiliser avec les industriels pour faire en sorte que cette aventure soit un succès.

 

*Solutions&Co est l’agence de développement économique de la Région Pays de la Loire